Un livre de Mohamed Mbougar Sarr
C’est l’histoire d’un écrivain sénégalais entre les mains duquel tombe un vieux livre oublié, « Le labyrinthe de l’inhumain », d’un certain T. C. Elimane, auteur d’une seule œuvre dont plus personne ou presque ne sait plus rien. Commence alors la chronique d’une quête, à la recherche de l’ombre d’une étoile filante de la littérature. Le narrateur, dans cette « histoire impossible à raconter », croise un poète convaincu qu’un poète qui a plus de 120 lecteurs est suspect et d’autres auteurs atteints « d’incontinence littéraire »… Ils parlent de littérature jusqu’au bout de la nuit, constatent que le monde n’est pas si perdu puisque cela advient, et nous y entraînent, emmaillotés dans un style envoûtant.
« Les grandes œuvres appauvrissent et doivent toujours appauvrir. Elles ôtent de nous le superflu » (p. 53). Mais parfois il ne reste presque plus rien. Alors c’est un long périple pour maintenir en vie une mémoire. C’est une quête impossible, pourtant intimement intriquée avec la vie, dont il ne surgira qu’une vaste, intense, mais imprécise idée : la littérature comme mystique.
Le livre dit aussi l’émigration, avec par exemple de superbes pages sur l’appel aux parents, que l’auteur voit comme étant caractéristique des émigrés, mais qui est peut-être un universel.
Je me suis demandé si la quête du narrateur n’était pas, paradoxalement et malgré son érudition – longtemps que je n’avais pas lu le mot shiboleth – et sa géniale composition, un processus de libération de la littérature. On y croise Borges, Sábato, Gombrowicz et d’autres pointures, on les y croise et on les y lit, textes cités ou seulement évoqués ; l’auteur joue des emprunts, comme semble avoir fait le mystérieux T. C. Elimane (citons par exemple la référence à l’idée que le hasard, qui n’est qu’un destin qu’on ignore, idée citée plusieurs fois – par exemple p. 336 – et qui est clairement un emprunt à Borges qui en faisait une équivalence).
Le livre, à travers ses multiples voix imbriquées, de récits dans les récits, se demande si le mal n’est pas la seule grande question. Confirmation, si besoin en était, que la littérature se réinvente en se répétant. Et cette grande question en amène donc peut-être une autre : et si le livre essentiel, finalement, ne pouvait s’écrire ?