Mon oncle d'Australie
livre critique chronique roman
Un livre de François Garde
« Que serait une famille sans secret de famille » (p. 159)
Dénouer un secret de famille si profondément enfoui dans une lignée qu’il ne se révèle que fortuitement, ça peut faire un bon livre. L’oncle du grand-père de François Garde est parti en Australie, en 1900, ou plutôt… a été exilé, banni, ce qui est aussi partir, l’envie en moins.
Pourquoi ? Personne ne le sait. Comment, on ne peut que l’imaginer. Qu’est-il devenu ? C’est l’histoire d’un roman. C’est une vie dans le blanc des cartes, et nous y avons déjà rencontré François Garde (« La Baleine dans tous ses états » et « Ce qu’il advint du sauvage blanc ») flânant en de lointaines latitudes. Le propre père du narrateur – ce dernier aura la délicatesse d’attendre sa disparition avant de publier son livre – confiait avoir souvent rêvé à son oncle d’Australie. Pourtant, dans cette famille aisée, par les choses et par la culture, une telle disparition est extraordinaire : « Les nantis restent chez eux. Les gens heureux ne prennent pas l’amer chemin de l’exil » (p. 27). Par dépit, et n’ayant aucune bonne source, le romancier sort du bois et y laisse, pour un temps, la réalité familiale. Alors le livre commence par ce geste de démiurge – que j’ai souvent eu – de compléter la réalité en l’écrivant, en inventant des pans inconnus d’une histoire, d’une biographie. Il m’est même arrivé d’avoir l’impulsion de réécrire la fin d’un roman que j’avais trouvé trop triste (affreuse tentation heureusement avortée, qui m’avait par exemple saisi à la fin de « Pour qui sonne le glas », de Hemingway ; j’étais adolescent, je rencontrais un grand écrivain). Alors nous voilà partis pour l’Australie où débarque le jeune Marcel qui « doit oublier son goût méditerranéen pour les propos percutants et sonores, cesser de trop vouloir convaincre, accepter de s’excuser à tout instant et à tout propos, maîtriser l’art de la litote et l’inachèvement. Nul n’apprécie les démonstrations brillantes et les paradoxes amusants qui faisaient, à Vaucluse, le sel des conversations. Ici, l’énoncé de banalités manifeste non la balourdise, mais l’appartenance à la communauté. Celui qui profère une évidence s’abaisse et atteste ainsi de son humilité. L’éloquence n’est plus une vertu, mais une impudeur, voire un aveu de faiblesse. Aux antipodes, le silence est une rhétorique » (p. 88). Il y découvre « une vérité cruelle, réitérée soir et matin : l’exil n’est que le nom vindicatif de l’absence » (p. 115).