Stacy
bd critique chronique thriller société
Gianni, écrivain, de gauche, a du mal à vivre de son art malgré son succès, d’estime.
Que faire ? Écrire des scénarios, comme tant d’autres artistes, en espérant qu’ils trouvent grâce aux yeux de Netflix.
Le voici appelé à rejoindre une équipe se constituant dans ce but précis.
Certes, on attend de lui créativité et originalité, mais contraintes. Par le formatage. Par l’air du temps. Et un impératif : ne pas (trop) bousculer le public et sa sensibilité par des saillies incontrôlées, des sorties de route qui déchaîneraient cris d’orfraie et philippiques sur les réseaux sociaux. Car, comme chacun le sait, peu importe le fond tant qu’on évite le bad buzz telle la peste bubonique.
Tout débute sous les meilleurs auspices jusqu’à ce que Gianni dise trois pauvres mots, oui, trois, qui lui feront vivre l’enfer et une longue traversée du désert.
Trois pauvres mots qui vont susciter l’ire de ses congénères et d’artistes condamnant ouvertement ses propos. Ses prétendus amis, soi-disant ouverts et tolérants, le renient et vont même jusqu’à le lyncher par leurs microposts et autres pensées pressées et compressées.
Gianni, le pestiféré, est atteint de ce qui semble être un trouble de la personnalité, à moins qu’il n’ait un peu trop incorporé des traits d’esprits tordus — des tueurs en série — qu’il dut étudier en profondeur pour les besoins de son travail. Il rumine, se met à rêver de vengeance sans passer à l’acte. Il prend son mal en patience, tente de s’expliquer — sans succès.
Des mois s’écoulent. Et voilà qu’une seconde chance lui est offerte. Il réintègre son équipe, au plus bas de l’échelle. Ayant appris de son erreur, il met un masque. Comme les autres. Il pèse ses mots, lisse sa langue, soigne son image et l’ego de ses prétendus amis.
Il réussit à faire oublier ses pauvres mots et à regagner la confiance de ses collègues. Cependant, son trouble s’accentue, aidé en cela par Démon, un homme dont on sait si peu au début, à part que de probité il n’est guère doté.
Désormais pleinement réintégré dans son milieu ouaté d’intellectuels hors sol, Gianni passera-t-il outre les quolibets et l’opprobre dont il fit injustement l’objet ?
Gipi réalise avec « Stacy », son dernier roman graphique, un tour de force, rajoutant ainsi une importante pierre à l’édifice du 9e art. Une pierre qui parle merveilleusement bien de notre époque, de ses excès, des tensions qui la, qui nous parcourent. De nos doutes, de nos peurs, de nos trahisons, de notre médiocrité.
Ses personnages sont particulièrement recherchés. La plongée qu’il nous offre dans la psyché de Gianni est un vrai bijou narratif. Les pistes qu’il ouvre, ici et là, montrent un profond respect pour l’imagination de ses lecteurs. Excellent thriller psychologique à tiroirs, « Stacy » la fait travailler comme il se doit, contrairement à une série Netflix qui, telle la malbouffe, consisterait en un fricot pour lequel nous n’aurions besoin ni de mordant ni de chicot pour la digérer.
— Stacy. Gipi. Futuropolis. 25€.