Fantasy
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On raconte que les vainqueurs, écrasant la voix de ceux qui ont perdu, écrivent l’Histoire, celle avec un grand H. Un H nettement plus grand que celui, rachitique, de l’innommable.
Comment réagiriez-vous si quelqu’un vous proposait de voir les faits, les approximations, les contre-vérités et les fables sous deux perspectives différentes ?
C’est là le tour de force, l’exploit réussi haut la main par Yoann Kavege, l’auteur de “Fantasy”, une des meilleures bandes dessinées que j’ai lues ces dernières années.
Certes, ce n’est pas un essai ni le fruit d’une étude scientifique rigoureuse. « Fantasy » est une pure œuvre de fiction. Mais son propos — aux antipodes de toute fantaisie — devrait nous donner à réfléchir à une époque où les faits alternatifs pullulent, au risque de fracturer encore plus nos sociétés et créer des dissensions profondes dont notre espèce aura beaucoup de mal à se remettre. Si elle y survit.
L’intrigue se déroule, en deux temps, sur une planète similaire à la nôtre.
Ses deux lunes, sa faune et sa flore distinctes ne devraient pas vous déconcerter. Contrairement aux dieux qui sont bien présents, et pas seulement dans nos têtes. Des dieux que les humains vénéraient et couvraient d’offrandes, avant qu’un fossé infranchissable ne se creuse entre admirés et admirateurs.
Dans la première histoire, nous suivons Alma, princesse du royaume de Nuhr-La.
Alma, guerrière redoutable, est chargée par sa mère, la Reine, de s’aventurer dans des terres sacrées interdites aux humains pour laver un ancestral affront commis par les divinités contre l’humanité.
Après avoir traversé plusieurs épreuves, Alma atteint finalement sa destination. Et c’est par un hasard inespéré qu’elle établit le contact avec Yourcenar, une déesse progressiste et sensible. Arriveront-elles à passer outre les profondes dissensions de leurs communautés respectives ?
Dans la seconde histoire, nous emboîtons le pas à Yourcenar. Nous découvrons les dieux, leur société et sa structure, et comprenons au fil des pages comment leurs relations avec les humains se sont développées avant de s’envenimer.
Cette deuxième perspective, subtile et nuancée, nous enseigne l’importance de ne pas se hâter à porter des jugements, de privilégier le dialogue et la mesure dans tous les aspects de la vie.
En cousant un écrin imaginaire magnifiquement dessiné et coloré, Yoann m’a offert un excellent moment de lecture et de réflexion.
Je ne vais pas y aller de main morte : il faudrait que tout le monde lise « Fantasy » et s’y plonge entièrement, en mettant de côté toutes ses autres préoccupations.
À mon avis, cela serait bien plus efficace pour réveiller nos consciences que les articles qui s’enchaînent à longueur de journée dans les médias majeurs ou de frange, au point où on ne sait plus où donner de la tête, multipliant les passes d’armes par réseaux tout sauf sociaux interposés.
Make and Appreciate Art. Not War.
— Fantasy. Yoann Kavege. Bubble éditions. 29,90€.