Monsieur Chouette
bd critique chronique coup-de-coeur fantastique imaginaire philosophie mythologie psychologie
C’est le cœur battant que j’entre dans un de mes temples favoris. Ne vous méprenez pas, je n’ai pas tourné casaque l’âge avançant, pour me transformer en grenouille du bénitier. Vous êtes après tout sur Le Sillon, et de temples, il n’y a que ceux consacrés à l’art salvateur ici.
C’est donc haletant que je franchis le pas de porte d’une de mes chères librairies. Nous sommes en septembre 2025 et « Monsieur Chouette » de David B. vient de paraître chez L’association, cette maison d’édition que ce génial sire a cofondée.
David B. est, sans aucun doute, un des meilleurs auteurs de bandes dessinées que je connaisse. Depuis que je l’ai découvert un peu sur le tard à travers le magistral « L’ascension du haut mal », je me rue sur tous les plats d’encre et de bulles qu’il concocte pour mon plus grand plaisir.
Je me targue d’être habile aux mots, d’avoir la verve facile et lyrique. Mais face à l’œuvre d’un tel géant, je sèche, tellement je voudrais en dire du bien, et patatras ! Je doute, je ne veux pas me prendre les pieds dans le tapis et desservir, plutôt que d’appuyer et de soutenir. Peut-être faudrait-il se contenter ici de l’essentiel : « Monsieur Chouette » est un chef-d’œuvre. « Monsieur Chouette » est un immense coup de cœur du Sillon.
Vous pourrez arrêter votre lecture de cette chronique ici, chausser vos souliers et d’un pas leste et preste, aller rendre visite à votre très sympathique libraire indépendant pour vous saisir d’un exemplaire de « Monsieur Chouette » et aller le savourer sous une belle lumière tamisée, avec un bon disque de jazz. Tenez, par exemple « Abstraction Is Delivrance » de James Brandon Lewis Quartet. Ah, l’abstraction salvatrice ! Cela résume bien « Monsieur Chouette » pour celles et ceux qui savent voir au-delà de l’évidence.
David B. a encore une fois réveillé l’enfant en moi. Avec « Monsieur Chouette », il m’a happé, pendant des heures. Il m’a fait oublier le monde tel qu’il est pour me plonger dans l’univers onirique et métaphysique imaginé par sa plume affûtée ; une plume qui sait s’affranchir de la réalité pour, finalement, mieux la cerner.
Le soir tombé, une femme se dépêche de rentrer chez elle, rasant les murs, prisonnière de ses peurs. Elle semble craindre, par-dessus tout, son ombre. C’est là qu’elle croise Monsieur Chouette, un être mystérieux qui se dit psychopompe, un être mythologique dont la fonction consiste à conduire les âmes des défunts vers l’au-delà.
Monsieur Chouette voit bien que la femme souffre de névrose et autres psychoses. Il se propose alors de l’en guérir, mais, pour cela, elle doit l’accompagner dans l’au-delà. Après moult hésitations, elle prend son courage à deux mains et accepte l’aide de Monsieur Chouette. Leur quête débute et les dangers foisonnent, à commencer par Cerbère, l’intraitable, le terrible gardien du royaume des morts, qui pourchasse tout vivant à qui viendrait l’idée saugrenue de franchir la porte séparant les deux mondes sans y être invité par la Mort elle-même.
Mais cette trame n’est, en fait, qu’un prétexte. La fantasmagorie de David B. est là, à chaque planche. La richesse des dessins laisse pantois. Le découpage graphique est impressionnant. Les références culturelles foisonnent. Et quel bestiaire prodigieux !
« Monsieur Chouette » est un tour de force. Point à la ligne.

— Monsieur Chouette. David B. L’association. 35€.