Le carcan
nouvelle microessai société
Des rires percèrent tel un soleil radieux la brume de ma fatigue.
Las, je ne voulais qu’une chose l’instant d’avant. Me recroqueviller, en ermite, hors des affaires des hommes et des femmes qui n’ont qu’une pensée : l’argent. Pour le pouvoir sinon pour la survie.
Si j’avais pu me cloîtrer dans un village du Haut Atlas loin de l’égotisme, du népotisme, et des esprits étriqués, je l’aurais fait. Cependant, je danse comme les autres. A contrecœur. Mais je danse quand même, traînant mes chaînes et mes boulets.
Un temps, je m’étais cru libre. Un temps, j’avais espéré que la révolte viendrait, face à tant de cruauté, de misère, et d’inconscience. Je pensais que cela aurait fait la tare de la grande balance, pour un siècle ou deux, avant de devoir recommencer.
Puis je me suis penché vers l’histoire, celle des vainqueurs, mais aussi, quand elle fut à portée de main, celle des vaincus. En même temps, j’observais le monde, mon monde, s’enfoncer par l’égrégore des avides impavides et leurs armées de laquais.
Puis j’ai vieilli et avec le peu de dents qui me restaient, je me suis mis à mâcher ma colère afin de la digérer, infectant ainsi chaque fibre, chaque tissu de mon être. Inexorablement se courbaient mon échine et mon dos.
Tandis que je ruminais ma fatigue et mon romantisme, je les vis devant moi. Gais, joyeux, insouciants, débordant de vie et d’énergie. Des non-adultes qui n’ont pas encore revêtu masque et individualisme. Marchant bras dessus bras dessous. Comme ça. En toute spontanéité.
Je sentis un sang nouveau circuler dans mes veines, un sourire se dessiner aux commissures de lèvres trop longtemps tirées par la gravité.
Pourquoi ? Pourquoi n’y arrivons-nous pas ? À faire comme eux. À nous soutenir les uns les autres ? Pourquoi accepter d’être misérables, vénaux, bourrus ? Pourquoi donner la sève de nos vies pour une poignée d’inhumains et faire semblant que tout va bien ?
Quand avons-nous tous bifurqué, nous éloignant de cette belle lumière que nous portions toutes et tous en nous ?
Par quelle formule maléfique nous sommes-nous toutes et tous transmutés ? En lâches.