La dernière nuit de Mussolini
chronique recension bd histoire fascisme societe
Attiré par la belle couverture tel l’ours par le miel, je n’hésite pas un seul instant à m’emparer d’un exemplaire de « La dernière nuit de Mussolini » de Jean-Charles Chapuzet et de Christophe Girard. Après m’être acquitté de mon dû, je fonce chez moi et me love dans un fauteuil. La dégustation ne peut attendre. Sous lumière tamisée, cela va sans dire.
Les pages et les planches se succédant, je commence à sentir une gêne. Puis un souvenir datant d’une décennie ou presque refait surface.
Je me trouve chez un caviste. De l’épicurisme et du bien-vivre, comme toujours. Mais au lieu d’encre et de bulles, cette fois, je cherche du raisin. Et pas n’importe lequel.
Ne sachant pas quoi choisir, j’erre parmi les quilles sans but précis. Après un temps pouvant s’étendre entre deux minutes et quinze — la mémoire exacte me fait défaut, mais la fourchette devrait vous donner une idée, même si cela n’a aucune importance pour l’histoire — mon œil, ou plutôt mes yeux n’étant pas borgne que je sache rencontrent la belle étiquette d’une Vosne-Romanée et ses formes suaves.
Hop ! Ni une, ni deux, je m’en saisis malgré son prix qui me pique le portefeuille et la conscience. Je rentre chez moi et je m’attends à vivre une expérience inoubliable avec quelques autres pratiquants du levé-jeté triés sur le volet.
Mais le désenchantement arrive au galop. Nous humons, nous buvons, mais nous n’y comprenons rien. Pourtant, tout était là pour produire un grand vin. Seulement voilà. On dirait que le vigneron s’est emmêlé les éprouvettes, s’est trompé dans le dosage, le procédé ou les deux à la fois.
« La dernière nuit de Mussolini » c’est un peu pareil. Laissons de côté le dessin passable. Voyez-vous, dans « passable » il y a passe. Et généreux, j’aurais pu faire l’impasse sur le trait de Girard. Je l’aurais même apprécié si le scénario de Chapuzet était à la hauteur du personnage et surtout, surtout à la hauteur de sa dernière nuit.
Mais non. C’est comme cette Vosne-Romanée décevante au possible. L’histoire est décousue. On saute clopin-clopant entre les années. Hop, nous voilà en 45. Hop, on retourne des décennies en arrière. Hop, nous voilà en 43. Euh, attends, Jean-Charles. Nous n’étions pas en 45 ? Si, si, on va y revenir, mais d’abord faisons un autre détour. Et passons par cette venelle avant de… ah attend, il faut absolument que je te montre ça… où on étions-nous… tiens, tu savais que… ah putain, l’embrouille… on parlait de quoi déjà ? De la dernière nuit à Benito… ah, mais oui et son gendre, je dois parler de son gendre… et savais-tu que le Duce avait pour maîtresse machine ? Et qu’il fut démis de ses fonctions et embastillé… ah, mais ça me revient… son gendre…
Sauf si vous êtes amateur de jeux de pistes, doublé d’un relieur hors pair pour enlever les pages de cette bande dessinée une à une pour les rassembler dans un ordre à peu près cohérent, passez votre chemin. Même nous autres, les fous du Sillon, on en perdrait l’esprit, malgré les nombreuses cases qui nous manquent.
Le nouvel obscurantisme est là. Les démons d’hier refont surface sans qu’on n’y trouve rien à redire à part pester dans notre barbe (ou ailleurs si on a la pilosité frugale). Si on ne se dit pas qu’on va porter les fachos drapés dans des oripeaux de prolo au pouvoir, pour retrouver le plein emploi et le pouvoir d’achat. Je ne peux donc que regretter que Chapuzet et Girard passent à côté d’une belle piqûre de rappel sur ce qui nous attend si on ne se bouge pas très sérieusement l’arrière-train.
Sinon hier sera demain.
– La dernière nuit de Mussolini. Jean-Christophe Chapuzet, Christophe Girard. Glénat. 21,50 €.