Horizons obliques

Miles Davos 3 minute(s) de lecture possible dimanche 28 avril 2024 476 mots et d'autres choses
chronique critique bande dessinée bd anticipation coup de cœur

Cela fait une éternité que je n’ai pas lu une bande dessinée deux fois de suite. Happé par l’univers qu’elle dépeint, l’histoire, les couleurs et moult autres détails.

« Horizons obliques » de Richard Blake est une œuvre impressionnante. A tout point de vue. D’autant plus qu’il s’agit de la première bande dessinée de ce peintre new-yorkais, nourri aux œuvres de François Schuiten et d’autres grands noms du 9e art de ce côté-ci de l’Atlantique.

Nous sommes en 2040. L’humanité découvre une dimension parallèle, faite de continents et paysages qui se forment et se déforment, procédant d’un mouvement, semble-t-il, éternel de construction-déconstruction.

L’exploration peut commencer, même si la mission est de prime abord impossible. Car comment cartographier l’instabilité, la fuite, l’irruption. Comment cerner les contours d’une image mouvante.

On lance d’abord des drones chargés d’IA. On accumule les données, on simule et on calcule. Puis vient le moment d’envoyer des téméraires. Un couple de cartographes se porte volontaires. Tout se passe bien jusqu’à ce que le contact soit rompu. Leur jeune enfant, une fille, laissée derrière, perçoit grâce à son don de clairvoyance que ses géniteurs sont toujours vivants.

Une mission de sauvetage s’organise. Elle va nécessiter plusieurs années de préparation durant laquelle on va tenter quelque chose de tout à fait inédit. Coupler l’esprit de l’enfant à celui d’une IA dotée d’un corps. Solidifier le lien entre les deux entités jusqu’à ce que le regard de l’un devienne celui de l’autre. Puis envoyer l’IA, guidée par l’humaine, à travers le portail liant notre monde avec La Passerelle ; ainsi fut nommée cette autre dimension.

Dès les premières pages, on ressent vivement l’influence des « Cités obscures » du duo Schuiten-Peeters — des pièces magistrales dans le monde du 9e art — sur « Hexagon Bridge », titre original sous lequel est paru « Horizons obliques ».

Cette influence s’étend non seulement à l’architecture, magistrale, mais aussi à l’atmosphère si prenante, si étrange qui enveloppe ces horizons obliques dans lesquels on aimerait se perdre à tout jamais.

Blake fait preuve d’une grande retenue qui est à saluer. Contrairement à d’autres auteurs d’ouvrages de science-fiction et d’anticipation, il ne cherche pas à nous en mettre plein la vue. Au contraire. Son minimalisme renforce l’intérêt des lectrices et lecteurs pour La Passerelle, leur donnant l’impression d’être aux côtés de Staden, l’IA susmentionnée, dans sa quête. Les silences, la mise en couleur, l’architecture, rehaussent le scénario et les émotions qui le parcourent. C’est véritablement ingénieux.

L’air de La Passerelle semble chargé de particules lynchiennes. Blake aurait-il aspiré la brume de Twin Peaks pour en arroser ses planches ? Je ne sais pas. Mais mon saisissement est bien là. Jusqu’à la dernière page et ce beau clin d’œil à un autre art qu’Alexandre Dulaunoy, cet autre flibustier de votre sillon, pratique à merveille.

Horizons obliques. Richard Blake. 19,91 €.