Gauloises

Miles Davos 2 minute(s) de lecture possible samedi 4 janvier 2025 392 mots et d'autres choses
chronique recension polar bd lyrisme graphisme

Ciro n’a pas eu d’enfance. Il n’a jamais été facile ce garçon. On dirait même qu’il n’en a pas été un. Il a sauté cette étape comme d’autres une flaque d’eau sur leurs chemins :

« Tu es né vieux », lui répétait son grand-père. Et lui, c’est sûr, il s’y connaissait.

C’est un taiseux Ciro. Il n’aime ni discours ni longues tirades. Il ne tolère pas non plus les jérémiades.

Il pourrait passer à côté de vous que vous ne le remarqueriez pas, si ce n’est l’odeur de ses gauloises. Ah ses gauloises. Toujours une vissée au bec. Pour un taiseux, vous me direz, c’est parfait. Nul besoin de justifier son silence avec ça.

Derrière lui, en plus de la fumée de ses gauloises, des cadavres. À la pelle.

Couverture de Gauloises

Aldo voulait devenir boxeur. Son idole ? Jack Dempsey. Il en avait la carrure, pas la stature. Encore moins le talent.

Oui, oui, Aldo pouvait faire mal. Mais de là à devenir boxeur, il y avait un infranchissable précipice.

Que faire ? Quitter la Sardaigne. Rejoindre Milan. Et tâcher de se faire un nom dans le milieu.

Il échangea son accent de l’île contre un sourire amer :

À Bousa, il dansait le tango avec un authentique sens du tragique.

Les jours passent et les nuits avec. Puis arrive une mission. Ciro s’exécute, comme toujours. Un petit amuseur di merda. Mais qui plaisait au roi de la mala.

C’est ainsi qu’Aldo le Sarde partira à la rencontre de Ciro, le Napolitain. Mais ça ne sera pas pour lui tirer une gauloise.

« Gauloises » est une bande dessinée funestement poétique dans une Italie où fleurit le désespoir, malgré le soleil et les belles gens.

Les protagonistes évoluent dans une atmosphère tendue, éthérée, presque irréelle, aux teintes pastel. Graphiquement, c’est une réussite. Igort nous régale. Certainement inspiré par la grande finesse du scénario d’Andrea Serio.

Une fois terminée, « Gauloises » laisse songeur, un verre de Verdicchio Blanco à la main, alors qu’Ishmael d’Abdullah Ibrahim — dans sa version incluse dans l’album « A Celebration » datant de 2004 — emplit la pièce de sa belle saudade. Semblable, je suppose, à celle que procurerait une gauloise une fois consumée. Car, voyez-vous, si ce bon vieux Miles n’a pas un plaisant défaut, c’est celui de fumer.

Gauloises. Andrea Serio, Igort. Futuropolis. 17 €.