Chronique - Vallée du silicium

Alexandre Dulaunoy 4 minute(s) de lecture possible dimanche 21 juillet 2024 659 mots et d'autres choses
livre critique chronique

Oui, ici c’est le Sillon Fictionnel, mais notre sillon est proche du dioxyde de silicium. Nous sommes les enfants des premiers transistors, des langages informatiques, du logiciel libre et même des modems 2400 baud. Alors, quand on voit en rayonnage un livre nommé “La Vallée du Silicium”, on ne peut que se ruer dessus.

On ne peut pas toujours aimer Alain Damasio, mais j’apprécie son travail chaotique, brouillon et parfois parcellaire. Il y a souvent dans ses œuvres des moments d’une grande lucidité ou d’une clarté intemporelle.

Ce livre est une sorte de journal de son roadtrip dans la Silicon Valley avec une touche fictionnelle (qui, à mon avis, n’est pas la partie la plus intéressante de cet ouvrage).

Au début de la lecture, j’ai ressenti une petite frayeur dans les quarante premières pages. Ce passage sert cependant de rappel ou de cadrage destiné aux lecteurs peu technophiles et peu familiers des dédales des technologies. L’auteur prend soin de poser les bases nécessaires pour que chacun puisse suivre son propos sans se sentir perdu.

Mais plus on s’enfonce dans le récit, plus on comprend le cheminement de pensée de l’auteur. Il met en lumière nos nouveaux fleurons technologiques, soulignant qu’ils ne sont en réalité que des extensions destinées à devenir nos propres bureaucrates. Au lieu de nous libérer, ces innovations nous transforment en prolongements humains des produits et services censés nous aider ou simplifier notre vie. Vous êtes maintenant votre propre guichetier bancaire, votre agent de voyage et même le contrôleur des réseaux sociaux.

L’auteur critique ainsi la manière dont la technologie, bien que promettant de faciliter notre existence, finit par nous imposer de nouvelles formes de travail et de responsabilité. En devenant des opérateurs de ces systèmes, nous nous trouvons chargés de tâches que certaines institutions ou entreprises prenaient autrefois en charge pour nous. Cette réflexion amène à se questionner sur l’impact réel de ces avancées sur notre quotidien et notre autonomie.

Et arrive le moment “voilà on y arrive”. Cela fait vingt ans qu’Ivan Illich est devenu un philosophe influent pour la communauté du logiciel libre, aux côtés d’André Gorz, Jacques Ellul, et même, dans une certaine mesure, Theodore Kaczinski. Dans La reconstruction conviviale, Illich nous explique le rapport toxique entre l’outil et l’homme. En 1973, Illich avait déjà décrit les problématiques que nous vivons actuellement avec l’omniprésence, mais surtout l’omnidépendance de nos vies à quelques consortiums technologiques.

Une société conviviale est une société qui donne à l’homme la possibilité d’exercer l’action la plus autonome et la plus créative, à l’aide d’outils moins contrôlables par autrui.

— La reconstruction conviviale (1973), Ivan Illich

Une autre référence dans le livre de Damasio est Peter Sloterdijk. Ce philosophe aborde avec finesse les hyper-complexités de nos sociétés et leur impact sur notre humanisme social.

Le livre “Vallée du silicium” ouvre les portes d’un monde autrefois réservé à quelques initiés à un plus grand public. Cette démarche artistique est à saluer, et la lecture de Damasio est vivement recommandée. Ensuite, je conseille de découvrir ou redécouvrir Ivan Illich, en particulier “La Convivialité”, disponible chez Fayard dans les Œuvres complètes, tome 1.

Ensuite, plongez-vous dans les œuvres de Peter Sloterdijk, André Gorz, Jacques Ellul, et même relisez Lewis Mumford avec Le Mythe de la machine. Vous pouvez également explorer quelques passages de Industrial Society and Its Future, notamment la section 112.

Merci à Alain Damasio de rendre accessible une vision alternative du monde et de reconfigurer le câblage d’un transistor, ce qui pourrait finalement transformer l’avenir de nos sociétés humaines. Que cette lecture vous inspire à explorer davantage ces penseurs et à découvrir les profondeurs fascinantes de leurs réflexions. Chaque livre est une nouvelle porte vers une compréhension plus riche de notre monde et de ses possibles transformations. Il n’est pas impossible que ce site fasse partie de ces transformations nécessaires.

Vallée du silicium, Alain Damasio. Albertine, Seuil

Lewis Mumford, Le Mythe de la machine. Technique et développement humain (1966), (Tome I)

Valée du silicium + autre bibliographie