Un astre nommé James
micro-essai musique jazz
Les lumières s’éteignent partout, sauf là où le public est amené à diriger son attention et son regard durant le temps qui vient.
Le brouhaha cesse, remplacé par un silence parcouru de soubresauts. Un silence dans lequel on peut déjà entendre la clameur qui s’annonce.
Ils montent sur scène, droits, fiers, prêts à tout donner. Ils se mettent en place et ils commencent, sans faire attendre celles et ceux qui sont venus pour les voir.
Dès les premiers instants, des frissons parcoururent l’échine des présents. On sent que nous sommes à un tout autre niveau. En les regardant, j’ai eu la vive impression qu’ils donnaient des bouts d’eux-mêmes, une inénarrable alchimie les connectant entre eux et au public.
Soudain un flash. Je voyais devant moi des passages, réinterprétés certes, de « Total Jazz » de Blutch. Une des meilleures bandes dessinées jamais écrites sur cette terre incroyablement fertile aux mille variétés, et à la géographie éternellement recomposée afin que l’arpenteur jamais ne s’en lasse.
James Brandon Lewis se dresse tel un lion, impressionnant, le regard tourné vers son âme afin d’en extraire la substantifique sève et la souffler à travers son tenor sax qu’il manie avec une inconcevable dextérité. On le sent habité, investi d’une mission céleste, cherchant tel un sage millénaire l’équilibre entre les forces qui parcourent ce monde.
Soutenu par des musiciens hors pair, Aruán Ortiz au piano, Brad Jones à la contrebasse, et Chad Taylor — celui-là même qui sublimait les enregistrements de la très regrettée Jaimie Branch — à la batterie.
Cela fait presque trois décennies que j’explore terre jazz, que j’en essaie d’en cerner les contours, que j’en hume la brise et l’air, que j’en découvre sans cesse de nouveaux recoins. Toutefois, rares sont les fois où mes pas croisèrent ceux de ces géants légendaires en dehors des mausolées et autres cimetières.
Mais hier, l’astre James, accompagné de ses trois satellites, éclaira mon chemin pendant plus d’une heure quarante, jusqu’à l’entrée d’une clairière dans laquelle, transfiguré, je me suis senti infiniment bien, tout l’épiderme de mon être en contact avec la chaleur diaphane d’un incommensurable bonheur.