microessai - la page cornée
microessai
La page cornée
Les livres sont l’extension de nos vies. Ils sont nos soutiens. Ils ne se plaignent jamais. Ils sont disponibles. Ils peuvent nous attendre des années sans broncher sur le rayonnage d’une bibliothèque. On peut même se souvenir de notre passé par les traces laissées. Un billet de train. Quelques notes. Une lettre de rupture que l’on n’a jamais ouverte. Ces coins de page pliés. On peut se souvenir de cette pliure. On avait corné ce livre lentement. Un pli prononcé. Comme les quelques mots échangés avec cette inconnue. En pleine lecture, un « désolé monsieur, je peux vous poser une question ? » qui avait engendré ce geste délicat de plier le coin de la page. Ensuite, ce regard. Une juste intensité. Comme si on se connaissait depuis des années. Une complicité partagée. Elle voulait simplement savoir si je cornais aussi mes livres. Elle en avait la preuve. Ce simple acte de plier devenait le lien unique entre deux personnes dans le chaos du train. Tout tient à de simples détails. Cette vie paradoxale est composée de liens communs assemblés avec l’espoir de chacun. Un éclat dans une vitre et on ne regarde que l’éclat. Le reste n’a plus d’importance. Les livres ne sont que l’épice de nos vies, mais le goût est tout pour notre survie.